PAYSAGES D’EUROPE

L’Europe occidentale vit, à la fin de la Renaissance, au rythme incessant de révolutions sociétales et artistiques inédites. La découverte de nouveaux mondes, les acquis de l’Humanisme et les avancées de la science ont favorisé et pérennisé un mouvement culturel sans précédent, émanant des cités italiennes et se propageant bien au-delà des Alpes. Bien qu’en termes artistiques, les pays germaniques, français et anglais conservent leurs particularités régionales, tous témoignent d’une fascination au XVIe et au XVIIe siècles pour le nord de l’Italie, opulent foyer culturel d’où rayonne Venise. Son ouverture sur le monde – comme le suggère la pièce Dalla porta d’oriente de Giulio Caccini – lui assure une richesse sans égal, et auprès de ses musiciens viendront se former de nombreux compositeurs européens.

Ainsi, et ce malgré la pluralité des écoles et des manières qui divisent l’Europe musicale, se dessine une histoire commune. Au fil de celle-ci, on voit émerger un goût partagé en Italie comme en Allemagne, en France comme en Angleterre, pour les consorts de cuivres. Cornets à bouquin et sacqueboutes trouvent alors aussi bien leur place à l’église, où ils doublent les voix du chœur, que dans les cours, où on apprécie le faste et l’éclat de leurs sonorités. Souvent accompagnés par des percussions, les ensembles de cuivres abordent ainsi de nombreux répertoires, de la musique de danse à la sonate d’église en passant par le madrigal et l’opéra naissant.

Plus encore qu’un rôle simplement instrumental, les cuivres anciens auraient avec la voix humaine une parenté éloquente, comme invitent à le penser de nombreux traités d’époque. En effet, leur manière d’interpréter ferait de la voix un modèle, imitant son expression, son articulation, en somme, sa rhétorique. Cette voix, dont la Renaissance avait fait un idéal en tant qu’elle exprimait le discours humain, se trouve ainsi prolongée par l’instrument. C’est pourquoi il a semblé pertinent pour Rinascere de s’approprier le répertoire vocal de cette époque.

Ce choix fait l’originalité de l’interprétation du célèbre Lamento della Ninfa de Claudio Monteverdi, dans lequel les voix d’hommes laissent place au timbre expressif des cuivres, proposant ainsi une relecture de la profondeur dramatique de cette lamentation pour soprano. Ignacio Donati, contemporain de Monteverdi et comme lui musicien réputé des cours du nord de l’Italie, exploite plus encore ce jeu d’imitation entre la voix et le cornet à bouquin dans son O gloriosa domina. Ces œuvres sont l’occasion d’explorer l’art de la diminution et de l’ornementation, en constant dialogue avec le modèle de la voix.

L’ensemble se prête tout aussi bien au répertoire instrumental et notamment à la sonate, genre naissant à l’aube du Baroque. Ainsi, en consort de cuivres il aborde la Sonata no 28 de Johan Vierdanck, compositeur et cornettiste partagé entre ses influences italiennes et allemandes, et propose, accompagné du clavecin, la rare Sonata no 10 de Marco Antonio Ferro, dont on ne connaît que très peu d’œuvres.

Singuliers par leur polyvalence, les cuivres anciens s’illustrent également dans des partitions inspirées par la danse. Il en va ainsi de la Suite de danses de l’anglais William Brade, qui fit carrière en Italie et fut notamment le professeur de Vierdanck. Inspirée d’une danse populaire à trois temps, la Passacaglia d’Andrea Falconieri, compositeur du nord de l’Italie, exploite un principe de basse obstinée sur laquelle trois sacqueboutes proposent des variations. Reprenant ce principe qui caractérise la passacaille, Monteverdi offre dans Zefiro torna e di soavi accenti et Si dolce è’l tormento, deux lectures contrastées : l’une caractérisée par son allégresse, l’autre par son tourment. Renouant le dialogue avec la voix de soprano, les cuivres partagent ses affects, son art de la diminution, et ce faisant, réunissent virtuosité et expression

PROGRAMME 

Andrea Falconieri (Naples, ca. 1585 – Naples, 1656)
Batalla de Barrabas yerno de Satanas
Il primo libro di canzoni, sinfonie, fantasie, canzoni, capricci, brandi, correnti, gagliarde alemane, (Naples, 1650)
2 cornets, 3 sacqueboutes, continuo, percussions

Giulio Caccini (Tivoli, 1551 – Florence, 1618)
Dalla porta d’Oriente
Poème de Maria Menadori
Nuove musiche e nuova maniera di scriverle, (Florence, 1614)
soprano, 2 cornets, 3 sacqueboutes, continuo, percussions

Claudio Monteverdi (Crémone, 1567 – Venise, 1643)
Lamento della Ninfa
Poème d’Ottavio Rinuccini
Madrigali guerrieri, et amorosi, (Venise, 1638)
soprano, 3 sacqueboutes, continuo, percussions

Ignazio Donati (Casalmaggiore, ca. 1570 – Milan, 1638)
O gloriosa Domina
Flores praestantissimorum virorum, (Milan, 1626) soprano, cornet, continuo

Johan Vierdanck (Dresde, ca. 1605 – Stralsund, 1646)
Sonata no 28
Capricci, Canzoni und Sonaten (Rostock, 1641) cornet, 3 sacqueboutes

Marco Antonio Ferro (après 1600 – Vienne, 1662)
Sonata n° 10
Sonate a 2, 3, 4 strumenti e b.c. op. 1 (Venise, 1649) 2 cornets, 2 sacqueboutes, continuo

Andrea Falconieri (Naples, ca. 1585 – Naples, 1656)
Passacaglia
Il primo libro di canzoni, sinfonie, fantasie, canzoni, capricci, brandi, correnti, gagliarde alemane, (Naples, 1650)
3 sacqueboutes, continuo, percussions

Claudio Monteverdi (Crémone, 1567 – Venise, 1643)
Zefiro torna e di soavi accenti
Poème d’Ottavio Rinuccini
Scherzi musicali, (Venise, 1632) soprano, cornet, continuo, percussions

Claudio Monteverdi (Crémone, 1567 – Venise, 1643)
Si dolce è’l tormento
Quarto scherzo delle ariose vaghezze, (Venise, 1624) soprano, 2 cornets, 3 sacqueboutes, continuo

William Brade (Angleterre, 1560 – Hambourg, 1630)
Suite de danses
Der Pilligrienen Tanz, Der Rothschenken Tanz, Ein Scottisch Tanz, Der Satyrn Tanz Branden, Intraden, Mascharaden, Balletten, All’manden, Couranten, Volten, (Hambourg et Lübeck, 1617)
2 cornets, 3 sacqueboutes, continuo, percussions

EFFECTIF

1 chanteuse
2 cornets
3 sacqueboutes
Percussions
Continuo (clavecin, orgue, viole, théorbe, guitare)